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Le hussard vert
8 janvier 2011

Anthologie de la Bataille de Waterloo

Aucune date anniversaire à commémorer, nous ne sommes pas encore le 18 juin, encore moins en 2015, j'avais simplement envie de parler de Waterloo. Non pas la victoire anglaise, non pas la gare londonienne mais la défaite française qui fera disparaître Napoléon de l'équation européenne. J'aurais pu utiliser, un clip you tube de la chanson Waterloo interprétée par Abba, j'aurais pu citer "Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morne plaine !" J'aurais pu parlé de stratégie militaire et notamment du livre Waterloo de Alessandro Barbero, j'aurais pu. Mais j'ai préféré m'en tenir à la stricte ligne éditoriale du blog, c'est à dire suivre mon humeur littéraire.

Avez vous remarquez comment la défaite la plus cinglante de la France après Azincourt et le drôle de guerre a donné lieu à pléthore de textes. En France, on a le culte de l'échec, on rend hommage aux perdants, aux losers, que sais-je ? aux vaincus. (Lire à ce propos La Noblesse des vaincus de J.M. Rouart). On ne retrouve pas les mêmes hommages pour Auzterlitz, Valmy ou Rocroy. Etrange, pensez-vous ? Non ! les victoires sont insipides, lisses, alors que les défaites appellent des destins brisés, des chocs, des trahisons, tous les ressorts d'un bon roman. Gide écrivait qu'on ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments. J'ai cherché longtemps à le contredire mais il a raison. La victoire est du côté des bons sentiments et c'est pourquoi elle ne participe pas à la grande littérature.

Je vous propose donc d'évoquer le souvenir de la Bataille de Waterloo (car ce fut une bataille avant d'être une défaite) à travers trois textes des plus grands auteurs du XIXème siècle, à savoir, Chateaubriand, Stendhal et Hugo. Le premier l'évoque de loin sans la voir, le second en dépeint le chaos, le troisième la dimension titanesque. Devant ces monuments, je me retire, je m'efface, je rampe, je disparais. Chut ! je me tais.    

"Le 18 juin 1815, vers midi, je sortis de Gand par la porte de Bruxelles ; j'allai seul achever ma promenade sur la grande route. J'avais emporté les Commentaires de César et je cheminais lentement, plongé dans ma lecture. J'étais déjà à plus d'une lieue de la ville, lorsque je crus ouïr un roulement sourd : je m'arrêtai, regardai le ciel assez chargé de nuées, délibérant en moi-même si je continuerais d'aller en avant, ou si je me rapprocherais de Gand dans la crainte d'un orage. Je prêtai l'oreille ; je n'entendis plus que le cri d'une poule d'eau dans des joncs et le son d'une horloge de village. Je poursuivis ma route : je n'avais pas fait trente pas que le roulement recommença, tantôt bref, tantôt long et à intervalles inégaux ; quelquefois il n'était sensible que par une trépidation de l'air, laquelle se communiquait à la terre sur ces plaines immenses, tant il était éloigné. Ces détonations moins vastes, moins onduleuses, moins liées ensemble que celles de la foudre, firent naître dans mon esprit l'idée d'un combat. Je me trouvais devant un peuplier planté à l'angle d'un champ de houblon. Je traversai le chemin et je m'appuyai debout contre le tronc de l'arbre, le visage tourné du côté de Bruxelles. Un vent du sud s'étant levé m'apporta plus distinctement le bruit de l'artillerie. Cette grande bataille, encore sans nom, dont j'écoutais les échos au pied d'un peuplier, et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues, était la bataille de Waterloo !"

Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe, Livre VI, ch.16

 

gericault  Officier de chasseurs à Cheval, Théodore Géricault.

"Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois la peur ne venait chez lui qu'en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit qui lui faisait mal aux oreilles. L'escorte prit le galop; on traversait une grande pièce de terre labourée, située au-delà du canal, et ce champ était jonché de cadavres.

- Les habits rouges ! les habits rouges ! criaient avec joie les hussards de l'escorte, et d'abord Fabrice ne comprenait pas ; enfin il remarqua qu'en effet presque tous les cadavres étaient vêtus de rouge. Une circonstance lui donna un frisson d'horreur ; il remarqua que beaucoup de ces malheureux habits rouges vivaient encore, ils criaient évidemment pour demander du secours, et personne ne s'arrêtait pour leur en donner. Notre héros, fort humain, se donnait toutes les peines du monde pour que son cheval ne mît les pieds sur aucun habit rouge. L'escorte s'arrêta ; Fabrice, qui ne faisait pas assez d'attention à son devoir de soldat, galopait toujours en regardant un malheureux blessé."

Stendhal, La Chartreuse de Parme, Partie I, Ch.3


Waterloo_La_charge__mArk_Churms_extrait La charge, Mark Churms (extrait)

"Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l'ombre de la batterie masquée, l'infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l'épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d'hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : vive l'empereur ! toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l'entrée d'un tremblement de terre."

Victor Hugo, Les Misérables, 2ème partie, Livre 1, Ch.9
 

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