Les bigoudis d'outre-tombe
"Adolphe Pâques, " artiste coiffeur ", a un secret qu’il n’ose pas dire
à son plus illustre client, François René de Chateaubriand. Il est
fasciné par ses livres. Il en apprend des pages entières par cœur. Il
conserve aussi comme un maniaque tous les cheveux du grand écrivain. De
son côté, celui-ci se consacre à ce qui sera son dernier manuscrit.
Alors que les éditeurs complotent pour s’emparer de ces Mémoires
d’Outre-tombe, arrive de Saint-Malo une jeune femme
métisse romantique et passionnée par la littérature. Chateaubriand
part pour Venise. Adolphe Pâques fait l’acquisition d’une arme à feu.
Que va-t-il se passer ?"
Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, Portrait de Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome.
Adrien Goetz construit une histoire sur les dernières années de Chateaubriand, celles des corrections des Mémoires. Le seul intérêt du roman réside dans le choix du narrateur : un coiffeur doté d'une mémoire prodigieuse et qui aime l'auteur d'Atala et de l'itinéraire de Paris à Jérusalem au delà du raisonnable ; un fan, un psychopathe en puissance.
Les premières pages sont stimulantes, on sourit quand M. Pâques décrit son métier : "Coiffer François-René, vicomte de
Chateaubriand , ancien ministre, ancien ambassadeur, ancien pair de
France, ancien jeune homme désespéré, n'était pas facile. Il avait de
moins en moins de cheveux et il fallait qu'il semble toujours décoiffé." Mais au milieu, gagner par l'ennui, on s'endort. On ne croit pas à cette Sophie, mulâtre malouine et lettrée ; sortie de nulle part, et qui disparait on ne sait où. - bon vent ! Le soucis c'est que le narrateur continue de parler d'elle longtemps. Et si les cinq premiers chapitres sont frais et plaisants, les chapitres suivants distillent des anecdotes mille fois contées et bouclent l'histoire avec peine. On apprend comment Chateaubriand a négocié son tombeau sur l'île du grand Bé (son tombeau face à son berceau, etc) ou comment une fiole d'eau puisée dans le Jourdain a servi à baptiser le dauphin du roi de France. On nous conte aussi les filouteries des libraires de l'époque et les tribulations d'un tableau en cheveux, tout cela sent l'artifice à plein nez. On se moque vite de l'histoire et des personnages, Ce livre tient plus des miscéllanées que du roman ; en résumé, M. Goetz à défaut de divertir, instruit. C'est déjà ça.
Et comme je ne veux pas rester sur une touche négative, je souhaite évoquer aussi quelques belles phrases, car il y en a :
"Je me demandais combien de temps, les cheveux des morts continuent de pousser".
Ou encore :
"Laissez moi appuyer ne fut-ce qu'en rêve, ma vie contre la vôtre"
mais cette dernière est de Chateaubriand himself, extraite d'une lettre à Hortense Allard. C'est pourquoi je vous invite à lire directement l'original au lieu de tourner autour de son crâne à demi-chauve et coiffé "à la sans-façon". Et pour les plus timorés, ceux qui n'osent pas ouvrir les vieux livres d'avant le XXeme siècle. Je vous invite à jeter votre dévolu sur une biographie sentimentale du Vicomte : Mon dernier rêve sera pour vous de Jean d'Ormesson, Chateaubriand raconté par ses conquêtes amoureuses. Un régal, peut-être le meilleur livre de l'académicien aux yeux bleus, le portrait d'un grand séducteur par un grand écrivain ou peut-être l'inverse.
Le Coiffeur de Chateaubriand, Adrien Goetz (Grasset)
Mon dernier rêve sera pour vous, Jean d'Ormesson (Livre de Poche)