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Le hussard vert
29 décembre 2009

La locomotive Tchèque

J'avais quelques livres en retard à chroniquer, je reportais sans raison, j'admirai ces écrivains, j'avais aimé leurs livres. Alors pourquoi ?

mauvignier Des hommes de Laurent Mauvignier (Editions de Minuit)

Très bon roman. Aussi bon que Dans la foule. Un style unique, un souffle qui entraîne le lecteur vers la mauvaise conscience et les non dits, vers l'ombre. Des scènes de guerre jamais encore lues (uriner de nuit face au désert). Mais ce n'était pas le bon livre pour clore l'année 2009. Trop sombre.

chalandon Mon traître de Sorj Chalandon (Livre de Poche)

Très bon roman. Aussi bon qu'Une promesse. Un style intimiste, un souffle qui entraîne le lecteur vers la mauvaise conscience et les non dits, vers l'ombre. Des scènes de guerre jamais encore lues (la charge des anglais autour d'un cercueil). Mais ce n'était pas le bon livre pour clore l'année 2009. Trop triste.

rambaud Le Chat Botté de Patrick Rambaud (Livre de Poche)

Bon Roman. Moins bon que la Bataille. Un style enlevé, un souffle qui entraîne le lecteur vers la mauvaise conscience de la révolution et les non-dits, vers l'ombre. Des scènes de guerre déjà lues (la canonnade de l'Église Saint-Roch) Mais ce n'était pas le bon livre pour clore l'année 2009. Trop convenu.

zatopek

Alors j'ai choisi Courir de Jean Echenoz. Un excellent roman. Où la guerre - pourtant présente, n'a pas le temps de suivre la foulée d'un des plus grands coureurs de fond de tous les temps : Emil Zatopek.

"Ce nom de Zatopek qui n'était rien, qui n'était rien qu'un drôle de nom, se met à claquer universellement en trois syllabes mobiles et mécaniques, valse impitoyable à trois temps, bruit de galop, vrombissement de turbine, cliquetis de bielles ou de soupapes scandé par le k final, précédé par le z initial qui va déjà très vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom fluide : la burette d'huile Emile est fournie avec le moteur Zatopek."

Loin des biographies conventionnelles, Echenoz écrit le roman de la souffrance. Une souffrance voulue, une souffrance endurée à chaque foulée, à chaque respiration, à chaque course. Zatopek est un "type comme tout le monde", qui enfant n'aimait pas courir. Il s'y met pourtant, doucement. Puis plus vite, puis plus dur, puis seul. Il découvre alors le plaisir de la douleur mêlé à la victoire. Il martyrise son corps, courre en grimaçant et grimace en courant. Son corps démantibulée, ses dents serrées, son visage déformé font tomber tous les records du monde du 5000m jusqu'au 20km, en passant par celui de l'heure. Au jeux olympiques d'Helsinki, il remportent en huit jours les médailles d'or du 5000m, 10000m et du marathon. Mais les exploits ne sont pas au centre de l'histoire, c'est la normalité du champion qui intéresse le romancier. Un type qui est capable de dire : "Je n'ai pas assez de talent pour courir et sourire en même temps. Quand le style comptera comme au patinage artistique. Je m'appliquerai."

Par sa narration inimitable, par ses ellipses, par son style saccadée et quasiment hypnotique, Echenoz nous place au ras des pistes cendrées dans la foulée d'Emile, dans son intimité. On souffre avec lui. On mesure la valeur d'une victoire. On comprend la vacuité de son existence. Bouclé en Tchécoslovaquie, le héros est interdit de Visa. Mais Emile est heureux. Il peut encore courir.

"Je ne sais pas vous mais moi, tous ces exploits, ces records, ces victoires, ces trophées, on commencerait peut-être à en avoir assez. Et cela tombe bien car voici qu'Emile va se mettre à perdre." C'est là que l'histoire devient intéressante. Emile sera-t-il aussi grand dans la défaite qu'il a été humble dans la victoire ?


ECHENOZ Courir, Jean Echenoz (Editions de Minuit)

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