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Le hussard vert
2 octobre 2009

Un homme rejeté

L’Homme rejeté a trente ans exactement. Il a été publié en 1979 chez Fayard et réédité en 2001 aux éditions de l’Envol qui ont malheureusement fait faillite.Une lecture coup de poing au milieu de cette rentrée littéraire 2009.

PierreMagnan Pierre Magnan - tel qu'il apparait sur la couverture d'Un Monstre sacré, dernier tome de ses mémoires chez Denoël.

Sous forme de journal, Pierre Magnan relate son expérience en entreprise sur trois années charnières, de 1975 à 1977, jusqu’au licenciement économique. De restructuration en mutation, c’est l’arrivée de l’informatique et du nouveau management « made in USA ». C’est la crise et les prémices du libéralisme.

Certes dans ce roman les marques sont datées (qui se souvient de Simca Chrysler, de BSN ?), les hommes politiques disparus (Marchais, J.J.S.S.) mais La violence des échanges en milieu tempéré pour reprendre le titre d’un très bon film, est immuable : les vexations, les tortures psychologiques, les décisions absurdes, la valse des responsables, les objectifs inatteignables tout y est. C’est aussi le début du chômage de masse.

Sec et précis, l’auteur affûte sa plume pour disséquer « la boîte » : une entreprise de transport frigorifique où il a fait toute sa carrière. On dirait le carnet d’un ethnologue au pays du capitalisme.

Ce roman m’a rappelé 325 000 Francs de Roger Vailland. L’histoire d’un ouvrier qui voulait prendre un gérance un snack bar sur la N7. Eldorado des années 50 et condition sine qua non à son mariage. Il décide alors avec un collègue de prendre les 3x8 à deux durant une année afin d’économiser la somme nécessaire à l’acquisition du fonds de commerce : 325 000 F. Il compte sans cesse les rendements, les cycles, les économies, les bénéfices. Pour gagner du temps, il relève la grille de sécurité sur la grande presse. Le dernier jour de son défi, entre fatigue et euphorie, il a le bras broyé. Le livre est construit comme une tragédie moderne. L’ouvrier qui en voulant sortir de sa condition se heurte à la fatalité.

On retrouve les mêmes ingrédients dans L’homme rejeté, travail, organisation, humanité -les portraits des collègues, des clients, des fournisseurs ou d’anonymes dans le train, le soir, sont savoureux. Mais ce qui est précurseur chez Magnan, c’est de mettre en avant le quotidien d’un agent de maîtrise (et non d’un ouvrier), et de montrer comment le système le broie après 25 années de bons et loyaux services. C’est de pointer le stress au travail, la nécessaire mobilité du salarié, l’idée du suicide, le début de la précarité, l’impossibilité de travailler après cinquante ans, l’émergence d’une classe moyenne fragilisée. Tout cela est décrit simplement, logiquement, à hauteur d’homme.

« L’amour ne résiste pas à vingt-deux francs cinquante par jour. Même un amour de trente ans. On finit fatalement par s’engueuler tous les jours. On prend ces figures figées de vieillards qui n’ont plus rien à se dire et ne se comprennent plus, même dans les détails. On ne s’intéresse plus au monde, ni au paysage, ni aux étoiles avec vingt-deux francs cinquante par jour. Il faut être comme ce hippy là dehors qui fait des entrechats devant le soleil. Il faut avoir vingt-cinq ans et croire qu’on les aura toujours.»

Les bons romans sur l’entreprise sont rares. Celui-ci témoigne de la fin des trente glorieuses et de l’entreprise à papa. il porte déjà en lui les désordres économiques et sociaux de ce début de siècle. Son insuccès commercial n’a pas encouragé l’auteur à poursuivre dans cette voie. Dommage.

Couv_HommeRejete L'Homme rejeté, Pierre Magnan (L'Envol) - Epuisé

Site de l’auteur : www.lemda.com.fr/ pour découvir la trentaine d'ouvrages de Pierre Magnan.

325000francs 325 000 Francs, Roger Vailland (Livre de Poche réédité chez Buchet-Chastel)

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