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Le hussard vert
3 mai 2010

La folie à Forcalquier

"C'était un alignement de cinq cadavres dans un ordre parfait. À égale distance les uns des autres, les orteils dressés vers le ciel, les paletots reboutonnés, même s'il était patent qu'ils eussent subi quelque désordre, les mains ouvertes dans le prolongement des bras collés au corps, les yeux fermés et tous comme au garde-à-vous. On avait dû profiter de ce qu'ils étaient encore chauds pour procéder à cette mise en scène. Crime politique, affrontement entre bandits de grand chemin ou implacable vengeance  ?" s'interroge faussement la quatrième de couverture. Pierre Magnan a brossé une fresque historique loin des enquêtes du Commissaire Laviolette. L'intrigue y est certes moins maîtrisée (voir bancale), mais le style y gagne en lyrisme et les personnages en poésie. Le livre est publié en Folio Policier, à tort.

Magnan Pierre Magnan

Pour me débarrasser du seul défaut de l'ouvrage et ne pas avoir à revenir, je regrette la construction de l'histoire : elle est à tiroirs et trop rocambolesque, elle gagnerait à être allégée de tous les événements superfétatoires qui la ralentissent et la complexifient pour rien. Le roman serait meilleur, et en crédibilité et en rythme ; en effet on se moque trop vite de savoir qui a tué les gendarmes, le prêtre, l'allumeur de réverbère et les autres.

En revanche on se plaît à entrer dans la farandole des personnages et des coucheries. Brédannes l'herboriste est touchant en cavaleur de jupons, et on sent l'influence de la Sanseverina de Stendhal dans Aigremoine ou Evangeline. A y réfléchir les femmes sont les seules personnes intelligentes du livre. Elles son vénéneuses et fatales. Elles mènent la danse. Brédannes dans son corbillard fraîchement repeint ne suit que ses pulsions sexuelles et se retrouve toujours aux mauvais endroits aux mauvais moments, le Comte de Gaussan ne pense qu'à être élu Sénateur quand il ne joue pas son château aux cartes, le Procureur Kérénez ne pense qu'à arrêter le bandit Zinzolin qui lui ne pense qu'à son amour perdu, la femme du procureur, Roseline, ne pense qu'à Zinzolin mais pour d'autres raisons, et puis il y a le docteur Pardigon avec qui Brédannes partage "les morts et les miracles". Et il y a Lulu l'allumeur de réverbère qui du haut de son échelle est le dépositaire de tous les secrets de Forcalquier. C'est drôle, enlevé et très intelligent. (Nommer "Zinzolin" son personnage le plus romantique, brigand de grand chemin, à l'égal d'un Cartouche ou d'un Robin des Bois, il fallait oser ! cf. définition de Zinzolin)

Comme dans tous les livres de Pierre Magnan, on y découvre une vingtaine de mots de vocabulaire dont on ignorait l'existence, et on se promène dans une Provence merveilleusement bien décrite ; de Forcalquier et la Montagne de Lure jusqu'à Montbrun et ses thermes. Il y a du Giono, du Stendhal et une pointe de Blondin dans La Folie Forcalquier

Surtout on se souvient de quelques phrases qui reste en mémoire longtemps après avoir refermé le livre : "J'ai été l'occasion de trop de malheur en ce monde pour ne pas m'en retirer."

Ou ce passage à propos d'une femme à demi défigurée :

"- Je ne serai jamais votre femme vous m'insultez avec votre pitié
- Je n'ai eu pitié de personne et j'avais d'avantage de compassion quand votre beauté était intacte.
Je la laissai longtemps médité sur cette ambiguïté. Elle surveillait avec soin mon expression lorsque, exprès, d'un coin obscur, elle surgissait à l'improviste devant moi, armée de son épouvantable aspect.
C'était une astuce d'enfant. Sa laideur était aussi ordinaire pour moi que sa beauté. (...) Il faut être piètre observateur de la nature humaine pour ne pas avoir remarqué cette banalité : qu'on fait l'amour les yeux fermés et qu'il faut faire effort, y penser ou qu'on vous le commande pour les tenir ouverts, ainsi la communication s'établit dans ce néant de ténèbres où est né le monde et chacun pour soi puise sa jouissance en cet abîme obscur."

folie_forcalquier La Folie Forcalquier, Pierre Magnan (Folio)

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