Cormac McCarthy, mort ou vif
Cette époque décadente qui vend des livres comme des tubes dentifrices, ne mesure pas la perte de cette disparition pour la littérature mondiale.
Cormac Mc Carthy n'est pas seulement l'auteur de La Route ou de No Country for oldman, c'est l'un des plus grands auteurs nord-américains. Il est l'égal de Faulkner et d'Hemingway - l'alcool en moins.
C'est un explorateur de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus noire. En douze romans, il a exploré les béances, gratté les cicatrices, poussé le lecteur dans ses retranchements au bord de l'abîme. Il a traversé le XXème siècle et un petit bout du XXIème mais il n'est pas de son époque. Taiseux, invisible, peu productif, à contre courant des tendances actuelles, il a réussi à imposer son style dans des genres aussi différents que le gothique, le western ou le thriller... Des romans qui brossent un portrait en creux de l'Amérique dans ce qu'elle a de plus sauvage.
L'écrivain, c'est le style.
Le sien est âpre et poétique, ses descriptions baroques de paysages sont à couper le souffle et viennent en contrepoint des actions cliniques, violentes et répétitives de ses personnages. Pour que vous compreniez bien, il vous envoie un crochet au foie, et l'intant d'après, quand vous êtes plié en deux, ivre de douleur, il vous passe une éponge magique sur la nuque et souffle à votre oreille que la vie n'est pas si terrible. Ce procédé épuise le lecteur, le rince comme un boxer au quinzième round.
"Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire. Ni réparer." CORMAC MC CARTHY, La Route
Mais la réalité est plus complexe, le romancier n'utilise jamais exactement les mêmes recettes, c'es ce qui me plait le plus chez lui : la surprise. Il expérimente de nouvelles techniques narratives à chaque nouveau livre : fréquence de ponctuation, longueur des descriptions, variation sur la longueur des phrases, accélération de l'action et répétitions à outrance, jusqu'à ces deux derniers romans Le Passager et Stella Marris, publiés en 2022 où l'art de la conversation réaliste est portée à son plus haut point sur des sujets pointus tels que Oppeinheimer et la bombe nucléaire, les mathématiques, la paternité, l'Etat oppressif, les transgenres. A 89 ans, sa plume respirait encore la jeunesse, il est mort pourtant quelques mois après avoir publié ces deux objets littéraires non identifiées. Il aura eu l'élégance avant de tirer sa révérence de nous offrir non pas un, mais deux testaments d'une beauté inouie sur la difficulté d'exister.
Il m'aura aussi appris que la Nature est le meilleur révélateur d'âme pour un romancier et que la condition humaine dans un désert avec un pistolet sur la tempe devient plus concrète qu'une falaise de marbre.
Pour cela et pour tout le reste,
Merci.