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Le hussard vert
24 juillet 2011

"Voyage au bout de l'enfer"

"Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première fois l'aigle baissait la tête.
Sombres jours ! l'empereur revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche.
Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et maintenant troupeau."

C'est ainsi que Victor Hugo décrit la retraite de Russie dans les Contemplations, Patrick Rambaud, lui emprunte l'anaphore de son poème pour titré son roman. En 1812 la Grande armée entre dans Moscou déserté. Elle sera bientôt surprise par le feu, puis chassée par l'arrivée des troupes russes grossies par des milliers de civils. Rambaud raconte les sentiments et la survie de ces hommes et femmes, civils et militaires, qui, forcés de se replier vers la Berezina, devront affronter un froid inhumain, mais surtout le manque de vivres qui les poussera aux pires extrémités. Pendant que trois cent trente mille hommes périssent, Napoléon, lui, poursuit ses rêves de grandeurs. Pour écrire cette suite à "La Bataille", le romancier a consulté les récits d'époque. Sa langue coulante captive le lecteur et l'entraîne comme un complice dans une aventure foisonnante, épisode tragique de l'histoire européenne.

Napoleons_retreat_from_moscow

En voici l'incipit : "Le capitaine d'Herbigny se sentait ridicule. Enveloppé dans un manteau clair dont le rabat flottait sur les épaules, on devinait un dragon de la Garde au casque enturbanné de veau marin, crinière noire sur cimier de cuivre, mais à califourchon sur un cheval nain qu'il avait acheté en Lituanie, ce grand gaillard devait régler les étriers trop courts pour que les semelles de ses bottes ne raclent pas le sol, alors ses genoux remontaient, il grognait : « A quoi j'ressemble, crédieu ! de quoi j'ai l'air ? » Le capitaine regrettait sa jument et sa main droite. La main avait été percée par la flèche envenimée d'un cavalier bachkir, pendant une escarmouche ; le chirurgien l'avait coupée, il avait arrêté le sang avec du coton de bouleau puisqu'on manquait de charpie, pansé avec du papier d'archives à défaut de linge. Sa jument, elle, avait gonflé à force de manger du seigle vert trempé de pluie ; la pauvre s'était mise à trembler, elle tenait à peine debout ; quand elle trébucha dans une ravine, d'Herbigny s'était résigné à l'abattre d'une balle de pistolet dans l'oreille (il en avait pleuré)."

Songez que ces tourments et ces blessures constitue l'arrivée dans Moscou d'une armée conquérante. Si le Capitaine d'Herbigny pouvait lire l'avenir, il prendrait ces agaceries comme un échantillon du bonheur en regard de tout ce qu'il allait vivre. Des marais, des attaques de cosaques, des marches par -30°C, des hommes qui dépècent des chevaux vivants, d'autres qui perdent leur nez gelé, leurs doigts, leurs mains, les blessés qu'on balance pour alléger les charriots, les vols, les meurtres, les fleuves à traverser, la boue, le vent, la glace et la honte de reculé devant l'ennemi... Patrick Rambaud a encore écrit un grand livre, magistral et balzacien. Il passionne, effraie, il emporte mais n'émeut pas. C'est son seul défaut. Sa plume reste trop loin des personnages, ils peuvent chuter, souffrir, se battre, mais à vrai dire, ils sont tous un peu interchangeables. Le cadre de la caméra est trop large, pas assez de gros plan. Les scènes sont belles. La steady cam filme la désolation et la chute d'un empire, elle zoome parfois sur un corps, compose un tableau, un effet mais reste toujours en deçà de l'humain. Il reste l'ombre de l'empereur et la souffrance, la mort de 330 000 soldats et civils, les chevaux, le passage de la Berezina et la neige.

neigeait Il neigeait, Patrick Rambaud (Grasset)

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