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Le hussard vert
14 janvier 2011

La science de la gueule

J'ai fini le premier tome du Vicomte de Bragelonne la semaine dernière mais je reporte l'écriture d'un billet à plus tard, Je préfère attendre la lecture intégrale des 2400 pages. Et comme j'avais envie ce soir de parler d'Alexandre Dumas (J'ignore pourquoi ?), je mets en avant une partie méconnue de son oeuvre : son dictionnaire de cuisine.

Voici comment le présente son éditeur : "Cet ouvrage mythique, véritable " cathédrale gastronomique " est sans doute le plus grand livre jamais consacré aux plaisirs de la table avec la Physiologie du goût de Brillat-Savarin. (...) L'auteur des Trois Mousquetaires, qui consacra les dernières années de sa vie à la rédaction du présent Dictionnaire, le considérait un peu comme son testament ; en tout cas comme l'un de ses grands livres, de ceux qu'il savait devoir durer longtemps après lui.

250px_Alexandre_Dumas_6 Alexandre Dumas (1802-1870)

Petit-fils d'aubergiste, cuisinier pour ses amis, Alexandre Dumas fut assurément une des plus fines gueules de son siècle. Ami des plus grands chefs, et notamment du célèbre Vuillemot, dont il n'a cessé de recevoir les conseils à l'heure d'écrire ces pages, il se pose avec une tranquille autorité comme un amateur capable de rivaliser avec les meilleurs professionnels. Les quelque 3000 recettes qu'il livre ici, et qu'il assure avoir toutes expérimentées, sont bien sûr exposées à sa manière : cavalière, souvent insoucieuse de précision, mais terriblement apéritive.
Son but n'a jamais été de rédiger un précis de l'art des fourneaux, mais la plus somptueuse introduction à la Cuisine qui se puisse rêver.
Qu'il y tienne le premier rôle et farcisse son discours de mille anecdotes vécues n'étonnera pas ceux qui le connaissent.
Ce Dictionnaire est aussi un roman de Dumas : le roman de sa vie. Lui-même ne savait pas d'autre façon d'entraîner ses lecteurs à le suivre : c'est-à-dire, ici, à empoigner sans barguigner la queue de la casserole, et à laisser parler à leur tour leur curiosité, leur goût et leur imagination. On envie d'avance leur plaisir."

Il y a la gourmandise que les théologiens ont placée au rang des sept péchés capitaux, celle que Montaigne appelle la science de la gueule. Dumas perpétue cette tradition et nous livre un mode d'emploi pour le péché de bouche à coups d'ortolans, de bec-figue, de truffes et de héron ; de croquembouche, de barbe de capucin et de poupelin. On s'y promène, on y rit, on s'étonne, on se lèche les babines ou au contraire, on ravale sa salive. Mais trêve de long discours, rien ne vaut l'exemple en cuisine, je vous pioche au hasard quelques recettes  :

Commençons par une entrée. Sur le chapitre huître, Dumas commence son article par : "L'huître est un des mollusques les plus déshérités de la nature." et il le conclut par la recette des Huitres à la daube : "Ouvrez des huîtres, assaisonnez-les de fines herbes hachées fort menu avec persil, ciboules, basilic, sel et poivre ; mettez-en très peu dans chaque huître, arrosez de vin blanc, recouvrez-les de leur couvercle et mettez-les cuire sur le gril, passez de temps en temps la pelle rouge dessus, dressez-les quand elles sont cuites, et servez-les découvertes."

Poursuivons avec un plat. "Ortolans à la provençale.  Prenez autant de grosses truffes que vous en pourrez trouver ; prenez autant d'ortolans que vous aurez de truffes, coupez vos truffes en deux, creusez-y une place pour votre ortolan, placez-le, enveloppé d'une double barde très mince de jambon cru, légèrement humectée d'un coulis d'anchois ; garnissez vos truffes d'une farce composée de foies gras et de moelle de boeuf : liez-les de façon à ce que vos ortolans n'en puissent sortir. Rangez vos truffes garnies d'ortolans dans une casserole à glacer ; mouillez avec une demi-bouteille de vin de Madère et même quantité de mirepoix ; faites cuire pendant vingt minutes à casserole couverte ; égouttez les truffes, passez le fond à travers le tamis de soie, dégraissez et faites réduire de moitié ; ajoutez de l'espagnole et faites réduire jusqu'à ce que la sauce masque la cuiller, passez-les à l'étamine, dressez vos truffes en buisson, et servez la sauce à part.
Nous avons dit ailleurs comment se mangeaient les ortolans, les bec-figues, et généralement tous les petits pieds dont le croupion est le meilleur morceau." Cette recette nécessite aujourd'hui 700 euros pour 700g de truffes et 1 ans de prison et 10000 euros d'amendes pour les volatiles car la chasse aux ortolans est illégale en France depuis 1999. 

Allez une dernière pour la route, un dessert du XVIIème siècle : "Crème aux abricots. Faites cuire douze abricots avec 125 grammes de beau sucre, passez-les au tamis et laissez-les refroidir. Ajoutez ensuite un petit verre de ratafia des quatre fruits ou de ratafia de noyau, délayez-y huit jaunes d'oeufs, passez ce mélange à l'étamine, afin qu'il n'y reste rien des germes, ajoutez-y le sucre nécessaire et faites cuire au bain-marie dans la même jatte, ou dans le moule, ou dans les petits pots que vous désirez servir sur table, en conduisant votre opération comme celle des autres crèmes analogues. On peut remplacer le ratafia par un demi-verre de vin blanc ; mais il ne faut pas que ce soit un vin trop savoureux ou trop parfumé, parce qu'il aurait l'inconvénient de masquer le goût du fruit. La recette de cette excellente crème est tirée d'un dispensaire manuscrit du temps de Louis XIV."

grand_dictionnaire_de_cuisine_229x300 Le Grand dictionnaire de Cuisine, Alexandre Dumas (Phébus)

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Commentaires
K
Il est subtil de voir qu'il ecrit un dictionnaire de cuisine a peu pres de la meme maniere qu'il ecrit un roman: avec un talent litteraire unique.
K
Il est subtil de voir qu'il ecrit un dictionnaire de cuisine a peu pres de la meme maniere qu'il ecrit un roman: avec un talent litteraire unique.
Le hussard vert
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