Le rouge et le vert
"Révoltés de voir le somptueux désert de l’Ouest défiguré par les grandes firmes industrielles, quatre insoumis décident d’entrer en lutte contre la “Machine”. Un vétéran du Vietnam accro à la bière et aux armes à feu, un chirurgien incendiaire entre deux âges, sa superbe maîtresse et un mormon nostalgique et polygame commencent à détruire ponts, routes et voies ferrées qui balafrent le désert. Armés de simples clefs à molette - et de dynamite - nos héros écologistes vont devoir affronter les représentants de l’ordre et de la morale lancés à leur poursuite. Commence alors une longue traque dans le désert."
Edward Abbey : "S'il y a quelqu'un toujours ici présent et que je n'aie pas encore insulté, je lui présente mes excuses."
Le Gang de la clef
à molette, publié en 1975 aux Etats-unis est un roman culte. Il
est à la fois en avance sur son temps (Il invente l'éco-terrorisme ) et
témoigne d'une époque révolue (le temps d'avant le béton et des interdictions).
Dès les premiers chapitres, on est captivé par l'originalité des personnages,
chacun bricole dans son coin, qui découpe des panneaux publicitaires, qui
sabote des engins de constructions, qui échafaude le plan parfait pour détruire
un barrage sur le Colorado. On se dit que leur rencontre va faire des
étincelles et c'est le cas. Au fil des pages, on se laisse prendre par la folie
des personnages et on applaudit des deux mains à leurs exploits. Ils sont nos catharsis face à
ce monde industriel, dévastateur et cupide, une sorte de robins des bois de
l'écologie. Ils annoncent tout à la fois, Greenpeace, Naomie klein, Cohn Bendit, José
Bové...
Utah- l'un des paysages rencontrés dans le roman.
Mais ici il n'est pas seulement question de revendications
et de politique, tout est question d'équilibre, une remarque poétique sur l'œil d'un vautour ou
sur un genévrier est contre balancé par une blague
potache. Les descriptions de l'ouest américains alterne avec des
dialogues nerveux et vivants, les gentils sont parfois méchants et le méchant est un évêque mormon ambitieux et affligé de garde forestiers plus bêtes que leurs rangers.
On cavale, on crie, on se moque on fait l'amour dans des duvets, on se
bagarre. Loin des livres à thèses qui tente de convaincre
en démontrant. Edward Abbey met en scène un éco activisme apolitique,
joyeux et
insouciant. Les membres du gang sont inexpérimentés et maladroits,
leurs
actions improvisées et impulsives, plus proches des pieds nickelés que
de
véritables terroristes, on s'attache vite à eux, à leurs humours et à
leurs défauts. On rit, on s'offusque, on frémit. La poursuite finale
sur plus de 130 pages est palpitante et on s'aperçoit alors que leurs
actions de
sabotages n'étaient pas de simples plaisanteries mais des actes
condamnables
de plusieurs années de prison. De vrais idéalistes, anarchistes et
drôles.
Edward Abbey n'est pas dupe, il sait que le combat est perdu d'avance, mais il envoie contre les charbonniers, les promoteurs, les constructeurs, sa troupe de chocs : le gang de la clef à molette, des "don quichotte" modernes qui fume des joints et boivent de la bière. Il rend sa révolution festive et loufoque pour entrainer dans son sillage le plus de monde possible, car ces quatre révolutionnaires sont à l'image du peuple américain : jeune, vieux, vétérans, docteur, inculte, alcoolique, fans d'arme à feu, athée, mormon ou juif.
Au final le roman est le portrait en creux de l'auteur, misanthrope et amoureux de la nature, solitaire et fidèle en amitié. Il tient à la fois du road movie et du roman d'aventure et s'érige malgré lui en chef de file du Nature Writing descendant en ligne directe de Thoreau et de Kerouac. Pour ceux qui aimeront ce livre, ce roman a une suite - je la lirais dans quelques temps et j'aurais plaisir à retrouver Hayduke, Bonnie, Doc et Smith dans de nouvelles aventures. A propos du Retour du Gang de la clef à Molette Edward Abbey écrit : “Quiconque prendra ce livre au sérieux sera immédiatement abattu. Quiconque ne le prendra pas au sérieux sera enterré vivant par un bulldozer Mitsubishi.” Tout est dit.