La crique indienne
"Le garde commença à parler de bois à brûler. Je hochais la tête
sans arrêt, comme si j'avais abattu des forêts entières avant de le
rencontrer.
- Il te faudra sans doute sept cordes de
bois, m'expliqua-t-il. Fais attention à ça. Tu dois t'en constituer
toute une réserve avant que la neige n'immobilise ton camion.
Je ne voulais pas poser cette question, mais comme cela semblait important, je me lançai :
- Heu...C'est quoi, une corde de bois ?
Pete Fromm
Pete Fromm vient juste d'avoir vingt ans quand on lui propose un job très spécial : passer l'hiver dans les Rocheuses à la frontière de l'Idaho et du Montana pour garder des œufs de saumon. Le jeune homme exalté par les récits de trappeurs accepte sans même réfléchir. "En acceptant de venir ici, j'avais dans la tête une vague idée de liberté : n'obéir à personne, ne faire que ce que je voulais. Il me semblait maintenant avoir négligé le fait tout simple que, même si je pouvais faire tout ce qui me chantait, et à n'importe quel moment, il n'y avait rien à faire." Et l'auteur va ainsi de désillusion en désillusion, dès les premiers flocons, il se jette à corps perdu dans chaque activité, d'abord le bois, puis la chasse à la grouse, aux écureuils, aux cerfs, aux lynx, puis la conservation de la viande, puis la tannerie des peaux et surtout ne pas oublier chaque jour de casser la glace dans le bassin aux saumons... A chaque obstacle, le jeune citadin apprend de ses erreurs et se moque de sa propre ignorance. Et à chacune de ses bêtises nous découvrons les deux faces de la nature : impitoyable et cruelle, majestueuse et bienveillante. L'auteur relate son séjour solitaire sans détours et sans forfanterie, sans morale ni philosophie ; un style dépouillé, un récit simple et vrai, drôle parfois ; une expérience vécue tout simplement.
Quand on referme le livre, on a envie de courir acheter un billet d'avion pour le Montana, louer une voiture jusqu'à Missoula puis rouler à tombeaux ouverts jusqu'à la passe "des Nez Percés" et de là descendre les cinq miles en raquettes jusqu'à la cabane abandonnée du vieux Blondie, puis si le temps le permet pousser encore vingt miles jusqu'au refuge Madruger, bourrer le poêle à bois et ouvrir une boîte de haricots, une fois rassasié dormir dans un sac de couchage à même le sol. Le lendemain matin avec les premiers rayons du soleil et après avoir avalé un café brûlant se remettre en route par -25°C et parcourir les huit miles jusqu'à la tente près de la rivière Selway, une fois arrivé, poser ses affaires et courir au bassin surveiller les saumons ; et là oublier le monde.
Mais est-ce encore possible aujourd'hui ?