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Le hussard vert
13 mars 2010

Le dernier crâne de Chessex

" Un vieux fou est plus fou qu’un jeune fou, cela est admis, quoi dire alors du fou qui nous intéresse, lorsque l’enfermement comprime sa fureur jusqu’à la faire éclater en scènes sales ? » Quel est l’homme de 74 ans enfermé dans l’hospice de Charenton, au printemps 1814, qui a commis tant de crimes et semble ne se repentir en rien ? Fuyard, brûlé en effigie, rescapé, embastillé, sodomite, blasphémateur, soupçonné d’inceste, et pourtant encore là, bouillant d’idées et d’ulcères, désireux de poursuivre l’œuvre de chair. Quel usage Mademoiselle Madeleine Leclerc fait-elle de ses 16 ans, de son corps efflanqué, vicieux ? D’où viennent ces hurlements ou ces soupirs ? A quoi l’isolement contraint-il ces libertins en chambre ? N’aurait-il pas au moins peur de la mort, où « chacune de ses paroles, chacun de ses actes résonnent plus fort ? » Le forcené a en effet trois mois à vivre. Cet homme se nomme Monsieur de Sade. La figure dont Jacques Chessex tire la matière de son récit, ce n’est pas le Sade en gloire, mais le malade fulgurant, et plus encore ce que le romancier complice à travers les âges raconte ici, ce sont ici les destins successifs de son crâne, comme une extension naturelle du corps sadien. Sade meurt en décembre 1814, sa tombe au cimetière de Charenton sera ouverte en 1818, et son crâne « ornement lui-même, de magie intense, de hantise sonore » passe dans les mains du docteur Ramon, le jeune médecin qui le veilla jusqu’à la mort. Relique, vanité, rire jeté à la face de toutes choses, effroi érotique, le crâne de M. de Sade roule d’un siècle à l’autre, incendiant, révélant et occupant le narrateur de ce livre."

chessex Jacques Chessex (1930-2009)

Le Dernier crâne de M. de Sade fait le tour complet de la violence et du sacrilège, celle des rites sexuels du Marquis, de la torture jouissive de la jeune Leclerc, de l'enfermement de son corps, de son agonie, de sa mort, de la trahison de ses dernières volontés par le médecin, par l'abbé, de leurs mensonges : "-Pas d'autopsie, pas de croix jurez, jurez  - Je le jure. - Répétez-le. - Pas d'autopsie, pas de croix. Je le jure." Et l'autopsie. Et la croix. Et son crâne. Et la fantastique et effrayante malédiction de son crâne.

Le cercle que décrit Chessex autour du Marquis n'est pas régulier. L'auteur procède par ondulation, oscillant entre attirance et répulsion. Il admire la liberté, la défiance envers Dieu, la certitude du Marquis. Son envie frénétique de vivre et de jouir, qui va s'intensifiant à l'approche du tombeau.  Mais il abhorre la crudité des scènes : les détails triviaux d'une peau percée, d'un con rougi par le fouet. Chessex décrit Sade dans sa vérité et le sublime dans ses rêves de crâne.

Un crâne toujours affamé de corps qui sévira pendant deux siècles et qui sera enfin apaisé par une infirmière et la seule poésie de Eichendorff. Macabre et beau. Comme l'excipit du roman, c'est-à-dire la dernière ligne écrite de Chessex : "Comme nous sommes las d'errer ! Serait-ce déjà la mort ?", Prophétique.

"Ma démarche n’est pas esthétique, elle est joyeuse et funèbre. Je ne crains pas d’être simultanément dans la révulsion, l’horreur et l’attirance, la fascination", disait-il lors d’une interview. Ce dernier roman en est l'exemple ultime, un condensé de l'œuvre, un adieu fulgurant.

Le_dernier Le dernier crâne de M. de Sade, Jacques Chessex (Grasset)

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Commentaires
A
Quel beau commentaire. J’ai adoré moi aussi ce roman posthume...
Le hussard vert
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