L'auteur du livre qui n'existe pas

Le dernier livre de Blondin n'existe pas et pourtant de nombreux journaux s'en sont fait l'écho. Antoine Blondin n'a jamais eu le courage de l'écrire alors il le racontait. Il s'amusait à laisser des zones d'ombre que les journalistes extrapolaient, ainsi au fil de versions le roman s'étoffait et se déformait.

Antoine Blondin (1922-1991)

Il a toujours eu le sens de la formule et le secret des bons titres. (il a notament soufflé à Audiard, Il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages et à Paul Guimard : Les choses de la vie qui fut adapté au cinéma par Claude Sautet). Après Un singe en hiver, L'Europe Buissonière et Monsieur Jadis ou l'Ecole du Soir, son dernier livre s'il avait été publié se serait appelé Le PC des maréchaux. Un titre mystérieux et ambigu. Le PC serait-il le parti communiste des maréchaux staliniens ou le poste de commandement des maréchaux napoléoniens ? Eh bien aucun des deux puisque le PC est la ligne de bus qui ceinture paris. Ce dernier n'emprunte que des boulevards qui portent les noms de maréchaux du Premier Empire (Soult, Davout, Murat, Ney , Masséna, Lannes...) ou de maréchaux-ferrants, l'ensemble forment un ensemble presque continu "le boulevard des Maréchaux" ou plus communément "les Maréchaux".

Jean-Claude Lamy se souvient : "Antoine donnait tant l'impression d'avoir écrit et publié cet ouvrage que je croyais l'avoir lu ! " En 1987, Blondin s'exprima sur son livre mythique: "J'ai trouvé le titre il y a dix ans. C'est la Petite Ceinture autour de Paris. Le héros débarque à la gare d'Austerlitz et commence à visiter Paris par l'extérieur en allant vers Versailles. Ça part d'aujourd'hui pour remonter à Napoléon et ça revient à nos jours par le Père-Lachaise que je connais bien." Il souhaite que des reporters écrivent l'autofiction à sa place afin qu'il récupère leurs articles pour obtenir le livre. "Je connais près de quatre-vingt-dix récits du P.C. des maréchaux par les journalistes", se vantait-il.

Denis Tillinac a concrétisé l'idée du livre, publié au dilettante sous le titre Boulevards des maréchaux. Je ne l'ai jamais lu préférant garder le fantasme et le rêve intact.

François Weyergans (1941-)

François Weyergans, pour des raisons différentes, a utilisé le même procédé interactif pour Trois jours chez ma mère : Après le succès en 1997 de Franz et François - un livre sur son père, l'auteur annonce que le sujet de son prochain roman sera sa mère. Les journalistes spécialisés attendent avec impatience ce nouvel opus, à tel point que le livre est annoncé plusieurs fois dans la presse au début des années 2000. Mais l'auteur est connu pour sa procrastination légendaire. Il déchire deux cent pages de sa première version, de sa deuxième... Au final, il intègre les journalistes dans son histoire et écrit sur un type qui écrit sur un type qui écrit sur sa mère et qui n'y arrive pas. Bref, il parle peu de sa mère et beaucoup de son impossibilité. Le livre sortira en octobre 2005 quelques jours avant la remise du Goncourt et raflera le prix au favori Michel Houellebecq pour La possibilité d'une île. L'écriture de Trois jours chez ma mère aura duré huit ans et n'est pas le meilleur livre de Weyergans, mais parfois l'histoire du livre est plus intéressante que les mots qu'ils renferment. Au delà de l'anecdote, si vous voulez découvrir Weyergans, je vous conseille plutôt Je suis un écrivain ou Français, Françaises  ou Le radeau de la Méduse ou Franz et François.

Trois jours chez ma mère, F. Weyergans (Folio) - Pour ceux qui n'écoute pas les conseils !

Le boulevard des Maréchaux, D. Tillinac (Le dilettante)