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Le hussard vert
24 juin 2009

Je m'en vais...

"Je m'en vais dit Ferrer, je te quitte. Je te laisse tout mais je pars".

C'est exaltant, je viens de découvrir un auteur. Il n'est pas tout jeune, il a débuté en littérature quand j'avais quatre ans. Il a été primé de nombreuse fois, notamment du Médicis et du Goncourt. La découverte d'un nouveau romancier, surtout confirmé c'est un peu comme l'invention d'un nouveau continent. Une dizaine de livres à découvrir, une pelote de laine à dérouler, un filon d'or à extraire, un univers à explorer.

Pourquoi suis-je passé à côté jusqu'à la semaine dernière ? Quand dans les librairies je lisais ces titres bleus sur fond blanc, je me représentais des romans expérimentaux, verbeux, abstraits, tout ce que je n'aime pas. Pourquoi ? Je n'ai pas de réponse. Le constat est là, je me suis longtemps détourné des éditions de Minuit - un a priori très con.

Aujourd'hui, je me régale à la lecture d'un roman de Christian Gailly, de Laurent Mauvignier ou de Tanguy Viel. (Je consacrerai bientôt une chronique à ce dernier qui s'impose à chaque publication comme l'un des grands écrivains français). Bref, j'aime des auteurs publiés chez Minuit. Il y a quinze jours donc, j'achète un livre dont j'ai lu vingt fois la 4e de couverture en dix ans : "Je m'en vais". Etait-ce le changement de saison, le temps orageux ? Je ne le repose pas sur le rayon. Je rentre à la maison et j'ouvre mon premier Jean Echenoz. Et là j'y découvre tout ce que j'apprécie en littérature : un style, un humour, un détournement des codes ; rien d'original sur le fond mais le tout transcendé par une langue. Un petit roman compact et brillant  qui vaut plus par ses descriptions et ses incises que par son intrigue. Jean Echenoz au cinéma est le genre de type à préférer le second rôle au héros, la silhouette qu'on a toujours connu mais dont on peine à se rappeler le nom.

Echenoz

Je ne résume pas se livre, c'est inutile. Avant de dérouler une histoire, Echenoz décrit une ambiance, monte un décor, incarne un personnage, le reste en découle. Il ne décrit jamais la psychologie intérieure de ses héros, comme chez Hemingway, ils n'existent que par leurs actes. On ressent une jubilation dans l'écriture, par ricochet on prend plaisir à le lire. On vit une nouvelle expérience, on joue au chat et à la souris avec les mots : on se sent impliqué et intelligent. En effet Echenoz brouille beaucoup les codes de narration. Il y a l'écrivain, le narrateur, le lecteur, le personnage et des rebondissements incroyables. Parfois le narrateur qui est censé être omniscient semble être à côté du personnage, parfois il interpelle le lecteur, parfois l'écrivain par la voix du même narrateur avoue que le périple d'un personnage est fastidieux et décide donc d'abréger le chapitre. Cette lucidité rappelle celle des scénaristes : quand un détail est incongru, on le coupe ou on le grossit jusqu'à l'extrème pour bien montrer au spectateur qu'on est conscient du caractère aberrant de ce détail. Un style résolument décomplexée et des histoires qui ne se prennent pas au sérieux.

Ce qui est stimulant dans ce roman c'est le côté livre de genre, un équivalent de la série B cinématographique. Même si au final, il reste difficilement adaptable à l'écran car tout ce qui en fait l'intérêt est dans la langue. Il y a une double action, celle de l'histoire et celle de la phrase, parfois les deux se renforcent, souvent elles s'opposent pour créer cet effet original : le ton de Jean Echenoz, nonchalant et distancié.

J'ai évidemment acquis un autre ouvrage de cet auteur majeur, hier soir, j'ai finis "Lac" et tout ce que je viens d'écrire sur le précédent s'applique aussi pour les second. (L'auteur qui adore les phrases sonores s'étourdit du nom de l'hôtel où se déroule l'intrigue "Parc palace du lac", on dirait presque un palindrome). D'ailleurs, Jean Echenoz semble écrire toujours le même livre, des êtres solitaires, en rupture qui cherche et ne trouve pas. Des romans qui font la part belle au description, qui ne débutent jamais vraiment et ne finissent pas. Comme cette expression "Je m'en vais", qui est à la fois le titre du roman, l'incipit et la clausule, comme pour nier l'importance de l'histoire qu'il a écrite et n'en faire qu'une parenthèse dérisoire. Jean Echenoz est un grand romancier modeste.

echenoz_je_m_en_vais  Je m'en vais, Jean Echenoz (Double minuit)

echenoz_lac Lac, Jean Echenoz (Double minuit)

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