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Le hussard vert
18 juin 2009

L'Abyssinie littéraire

Je viens de conclure un cycle de lectures africaines, non pas d'auteurs africains mais français sur l'Afrique, je voulais ressentir la vision française de l'Abyssinie. J'avais lu très jeune Kessel et Monfreid, des romans d'aventures à travers la corne africaine, des chevaux magnifiques, des boutres remplis d'armes, la mer rouge, des légendes, le soleil, le désert, des combats, bref des histoires marquantes des années trente. Le mois dernier j'ai lu en en parallèle un livre de Gary (qui est une compilation d'articles publiés dans France soir dans les années 70, un reportage haut en couleur qui se lit comme un roman) et un autre plus volumineux de Guillebaud qui est une suite de chroniques douces amers sur l'Afrique de l'Est dans la fin des années 90 (Somalie, Ethiopie, Erythrée, Djibouti, Soudan) illustrée par de superbes photos de Raymond Depardon.

merrouge Les trésors de la mer rouge  (Folio 2€) décrit le voyage de Romain Gary à travers les paysages brulés de la corne africaine. Dans son périple, il collectionne les êtres et les histoires atypiques comme un ethnologue recense un monde qui disparait. Comme Gary n'est pas Levi-Strauss, ses rencontres sont plus des amorces de romans que des descriptions précises. On ressent plus qu'on ne voit. C'est aussi l'un des textes les plus noirs de l'auteur, le plus pessimiste aussi : on le sent au bord du gouffre désarmé face à la sauvagerie des hommes et l'absurdité du monde. Il a été militaire, diplomate et écrivain ; il a sondé le monde et l'âme humaine et n'y a trouvé aucune réponse. Alors il aborde l'histoire, par petites touches, en empilant des anecdotes : peut-être que le lecteur comprendra cette mosaïque.

"Ce ne sont ni les trésors engloutis qui dorment au sein des grands fonds sous-marins que je suis allé chercher pour vous sur ces eaux que l'art des conteurs arabes a peuplé de fabuleuses histoires. Ni les perles que l'on n'y pêche plus guère, ni les rubis, émeraudes et diamants que l'eunuque Murad a jetés dit-on, dans la mer Rouge par l'ordre de son maître Ibn Séoud, afin qu'ils rejoignent dans l'inaccessible le fils préféré du dernier conquérant d'Arabie des temps modernes. Ni l'or clandestin transporté par les boutres aux mâts obliques vers les coffres des trafiquants indiens..."

la_porte_des_larmes La porte des larmes (Points) de Jean-Claude Guillebaud et Raymond Depardon est un beau livre. Il représente le témoignage de deux voyageurs qui ont arpenté les sols ethiopiens, érythréens, soudanais à leurs pires heures 1984, 1986, 1991, famine et guerre... Ils reviennent dans une période plus calme pour faire le point et solder leur compte. L'intérêt du livre repose sur cette profondeur. Ils décrivent le présent mais leurs cauchemars apparaissent en creux, des impacts de balles sur les murs à Asmara ou Keren, une mosquée éventrée à Massawa, un poème d'un ami disparu sur des femmes qui s'immolent au Yémen... Ils sont témoins et acteurs, l'histoire est aussi celle de leur relation à ces pays. Des pays berceaux de l'humanité et aussi parmi les plus pauvres du monde. Les scènes décrites sont puissantes et les photos sobres, en noir et blanc. Un texte difficile à digérer avant le sommeil mais un texte majeur dépouillé de tout ressort romanesque. C'est une aventure mais celle-ci fait beaucoup moins rêvé que Fortune Carré.

kessel Voici  quinze ans, j'ai lu Fortune Carrée (Pocket) de Joseph Kessel, je me souviens des noms Igricheff (qui aurait existé sous le nom de  Hakimoff), un émissaires russe auprès d'un sultan Soudanais -instructeur de l'armée, de chaïtane, le plus beau et le plus rapide cheval du sultan. Igricheff volent le cheval et pour échapper à l'armée qui le poursuit saute sur le bateau de Henry de Monfreid (qui a un autre nom dans le livre) et d'un jeune journaliste (Kessel), la suite est une sucession d'aventures rocambolesques à travers le Yémen et la mer rouge. La fortune carrée est la voile des tempêtes, c'est ce que vont subir les trois héros durant 377 pages. Certes tous les personnages, situations et paysages sont sublimés par Kessel. Un ciel est toujours étoilé de mille feux et l'esclave-noir-pêcheur-de-perle a des muscles d'airain, reste dix minutes sous l'eau et soulève des rochers, c'est la marque de l'auteur et c'est ce qui provoque la rêverie. Un excellent livre sur des choses vécues par l'écrivain qui paraît-il a achevé les cinquante dernières pages de son manuscrit d'une traite sans boire ni manger et en fumant des centaines de cigarettes...Son côté excessif, peut-être.

Enfin pour conclure, je signale que l'intégralité de l'oeuvre d'Henry de Monfreid a été réeditée dans les Cahiers Rouges Grasset, en plusieurs tomes. Je n'ai pas lu l'Abyssin de Jean-Christophe Rufin, dommage, il aurait parfaitement complété cet article.

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